Bataille de Poitiers en 732
(manuscrit du XIVe siècle)
Bibliothèque royale, Bruxelles
1/ Unique
héritier de Pépin de Herstal, le vainqueur de Tertry
2/ Restaurateur
de l'état franc
3/ Vainqueur des
Sarrazins
4/ La difficile
succession
1/ Unique héritier de Pépin de
Herstal
Le 16 décembre 714, à la mort de
Pépin de Herstal, Charles Martel, son fils cadet, de surcroît illégitime, est
désigné comme successeur de l'unique maire du palais du royaume Franc
réunifié. Mais, avant de régner en maître, il va devoir se battre pour son
héritage, mettre un terme aux manœuvres de la reine Plectrude et vaincre
l'opposition de l'aristocratie neustrienne.
Vainqueur des Neustriens, à la
bataille de Tétry en 687, Pépin de Herstal est devenu le seul maire du palais
des royaumes réunis d'Austrasie, de Neustrie et de Burgondie. Dagobert III,
monté sur le trône à l'âge de douze ans à la mort de son père Childebert III,
n'est roi de Neustrie qu'en titre. C'est le puissant Pépinnide qui est le
véritable maître des Francs et qui a la haute main sur le gouvernement et les
finances. Peu avant sa mort, Pépin de Herstal, afin d'éviter les querelles
fratricides entre ses descendants et conscient des ambitions de
l'aristocratie, a explicitement désigné son fils illégitime, Charles Martel,
comme son unique successeur.
Charles Martel est le fils
d'Alpaïde, concubine de Pépin de Herstal. Mais, celui-ci a par ailleurs eu de
son mariage avec Plectrude deux enfants légitimes, Drogon et Grimoald. A la
mort de Pépin de Herstal, le 16 décembre 714, la reine n'entend pas voir
l'héritage de sa progéniture tomber entre les mains d'un bâtard, de surcroît
un cadet. Après avoir fait emprisonner Charles Martel à Cologne, elle
s'emploie à imposer son petit-fils Theodrald, âgé de six ans seulement et
unique héritier de Grimoald, comme maire du palais. Sa manœuvre est couronnée
de succès en Austrasie, mais échoue en Neustrie, face à l'opposition des
grands, farouchement attachés à leur indépendance.
Alors qu'il se rend de
Cologne à Paris, le jeune Theodrald est capturé par un groupe d'opposants
neustriens en forêt de Compiègne. Ceux-ci exigent qu'un maire du palais
d'origine locale soit nommé en Neustrie. Le titre échoit à Rainfroy, dont les
partisans se font remettre la moitié du trésor royal. En 715, à la mort de
Dagobert III, les rebelles neustriens font sortir d'un monastère un clerc du
nom de Daniel, qu'ils affirment être le fils du roi défunt et le placent sur
le trône sous le nom de Chilpéric II afin de l'opposer à Charles Martel. La
révolte de la reine Plectrude aboutit donc, dans un premier temps, à la
division du royaume franc et à la destruction du grand oeuvre de Pépin de
Herstal.
Des fidèles de Charles Martel
ont-ils profité de l'éloignement de Plectrude? Rainfroy a-t-il songé à
affaiblir la famille Pépinnide en encourageant la discorde entre ses membres?
Toujours est-il qu'en 714 l'héritier de Pépin de Herstal parvient à s'échapper
de sa prison. Jeune homme déterminé et courageux, il profite des circonstances
pour réunir ses partisans austrasiens et se porter contre les Frisons, qui se
sont alliés aux Neustriens. Défait, il doit se réfugier dans les
Ardennes.
Mais, l'année suivante, à la mort de Plectrude, il parvient à
évincer le jeune Theodrald, à s'emparer de la mairie d'Austrasie et de ce qui
reste du trésor royal.
Mais Charles Martel est habité par les même desseins
que son père et ne peut tolérer de gouverner seulement une partie du royaume
franc. Après avoir pacifié les Frisons, il se prépare à entrer en guerre
contre les Neustriens. Ceux-ci se sont alliés à Eudes, le duc d'Aquitaine,
qui, s'il veut garder son autonomie, a tout intérêt à ce que le Nord du
royaume reste divisé. A la tête d'une armée de Basques, Eudes se met en marche
sur Paris.
La réaction de Charles Martel est aussi foudroyante qu'efficace.
Le 21 mai 717, à Vincy, localité située entre Arras et Cambrai, il inflige une
cuisante défaite aux Aquitains et aux Neustriens. Puis il prend la route de
Paris où il fait une entrée triomphale.
La capitale conquise, Charles
Martel qui, désormais, n'a plus d'adversaire susceptible de s'opposer à son
accession au pouvoir, négocie la paix avec Eudes d'Aquitaine et obtient la
restitution de la part du trésor franc que les Neustriens se sont appropriée.
Quant à Chilpéric II, s'il reste roi de Neustrie, ce n'est qu'à titre purement
honorifique. A sa mort, en 721, Charles Martel place sur le trône le fils de
Dagobert III, Thierry IV, et s'autoproclame maire du palais de Neustrie. Sept
ans après la disparition de Pépin de Herstal, il reconstitue ainsi l'unité du
royaume franc. Alors que les Mérovingiens sont en pleine décadence, la famille
Pépinnide, qui donnera le jour à la dynastie carolingienne, poursuit sa
fulgurante ascension.
2/ Restaurateur de l'état
franc
Seul maire du palais des royaumes
réunifiés d'Austrasie, de Neustrie et de Burgondie, Charles Martel entreprend
de restaurer l'unité, l'autorité et la puissance de l'État franc. Par une
politique de laïcisation des biens ecclésiastiques, il s'assure de la fidélité
de ses vassaux, membres d'une puissante aristocratie militaire qu'il emploie à
pacifier les frontières de l'est et à soumettre les peuples
germains.
Depuis qu'il a définitivement
battu l'aristocratie neustrienne rebelle en 724, Charles Martel, unique maire
du palais, est le maître des royaumes d'Austrasie, de Neustrie et de Burgondie
réunis. Et il gouverne en véritable roi, même si le mérovingien Thierry IV, un
enfant d'une dizaine d'années, est encore sur le trône. Sitôt ses adversaires
vaincus, il a entrepris de lutter contre l'anarchie, de restaurer l'unité,
l'autorité et la puissance de l'État franc. Pour ce faire, il s'appuie sur sa
famille, sur ses proches et sur une aristocratie qui lui doit sa
fortune.
S'il veut régner en maître;
Charles Martel doit s'assurer la neutralité, voire la fidélité, de la
puissante institution qu'est l'Église franque. Aussi il s'emploie à remplacer
les évêques et les abbés qui lui sont hostiles, particulièrement en Neustrie,
par des hommes dont il est certain d'obtenir un soutien sans aille. A Rouen,
il démet Waddon, l'abbé de Fontenelle, et confie le siège épiscopal à un de
ses neveux, Hugues, qu'il place également à la tête de l'évêché de Bayeux,
puis de celui de Paris. Au Mans, le laïc Claviré succède à l'évêque Erlemond.
L'abbaye de Nantes est confiée au comte Agathée, celle de Corbie à Grimo,
ambassadeur de la famille Pépinnide auprès du Saint Siège. Usant sans
restriction de son pouvoir et de son autorité, le maire du palais destitue de
nombreux prélats et, parfois, les fait emprisonner. Cependant, conscient du
fait que de bonnes relations avec Rome sont essentielles, il pose les
fondements d'une alliance avec l'Église sur laquelle ses successeurs, Pépin le
Bref, puis Charlemagne, bâtiront la puissance carolingienne. A l'évêque
missionnaire Boniface, que le pape Grégoire II a chargé d'évangéliser les
peuples germains, il accorde tout son soutien. Et "l'apôtre de la Germanie"
n'hésite pas, à l'occasion, à demander le concours des armées
franques...
Soutenir la mission de Boniface en Germanie n'est qu'une des
facettes de la politique menée par Charles Martel pour rétablir l'autorité
franque aux frontières de l'est. De même, le maire du palais délègue le
missionnaire espagnol Pirmin en Alémanie, dans le dessein de contrecarrer les
tentatives de rébellion du fougueux duc de Lantfrid.
Bien que le prélat ait
échoué et ait été chassé; Charles Martel arrive à ses fins et, en 730,
supprime le duché d'Alémanie. A la tête d'une puissante armée, il maintient et
étend son pouvoir en Frise. La région est définitivement pacifiée. Les Saxons
sont vaincus, la Thuringe et la Bavière soumises.
Depuis trois siècles, les
domaines des Mérovingiens, ont, à force de donations, fondus comme neige au
soleil. Par le biais de sa politique de laïcisation des biens de l'Église,
Charles Martel va disposer de nouvelles terres et s'attacher la fidélité de
ses vassaux. A ces grands, qui sont l'élite d'une cavalerie puissante et
nombreuse, il concède les domaines et les revenus ecclésiastiques. Issu de la
recommandation domestique, par laquelle un homme libre réclame la protection
d'un puissant en échange de sa fidélité, le lien de vassalité, dont les lois
des Alamans et des Bavarois font alors pour la première fois mention par
écrit, se profile.
L'institution des bénéfices ecclésiastiques (sous le nom
de "précaire"), ainsi que les champs de mars, réunis sous l'autorité du maire
du palais, favorisent la naissance d'une aristocratie militaire et ouvrent la
voie au régime féodal.
Ces succès, tant de chef d'État que de chef de
guerre, vont donner à Charles Martel les moyens et l'autorité suffisante pour
mener le combat contre un nouvel ennemi qui menace le royaume franc. Dans le
Midi, en Aquitaine, dans le Languedoc et la vallée du Rhône, les Maures
musulmans (ces redoutables Infidèles sarrazins) lancent des razzias de plus en
plus fréquentes.
3/ Vainqueur des Sarrazins
Au VIIIème siècle, les rois
mérovingiens ont de moins en moins de pouvoir et ce sont les trois maires du
palais (pour les royaumes d'Austrasie, Neustrie et Bourgogne) qui prennent
toutes les décisions. Plus tard on surnommera ces rois fantoches "les rois
fainéants". Charles Martel est maire du palais d'Austrasie (dont le roi est
Thierry IV), mais il soumet rapidement les deux autres
maires.
Celui ci a, à plusieurs fois,
prouvé sa valeur guerrière et rassemble en sa personne presque tous les
pouvoirs politiques.
Charles Martel arrive sur les
bords de la Loire. Une fois le monastère sauvé, il prolonge son attaque au
sud. Il fait avancer son armée venue de toutes les parties du royaume franc.
La bataille se livre près de Poitiers contre les troupes d'Abd al Rahman,
gouverneur d'Espagne et général arabe. Pour faire face aux hordes arabes,
Charles Martel équipe chacun de ses soldats d'une épée, d'un haubert ainsi que
d'une longue lance. Il fait fabriquer des casques formés de 4 feuilles de fer
triangulaires et assemblées par des rivets. Le chef franc attend le choc de
l'ennemi. Il l'attend pendant sept jours. Quand les Arabes se décident enfin à
attaquer, ils se heurtent inutilement au mur de fer des " phalanges "
franques. La bataille s'interrompt et le lendemain matin les Arabes ont fui le
champ de bataille. Selon la légende, 375 000 Arabes auraient péri et cette
victoire était censée être "la preuve de la supériorité du Christ sur Mahomet
". D'ailleurs, le général arabe est retrouvé mort sur le champ de bataille.
Cette bataille met fin aux tentatives d'incursion des Arabes dans le royaume
franc pour plus de cent ans.
Après sa victoire de Poitiers
(732) contre les Arabes, Charles Martel apparaît comme le sauveur du monde
chrétien et comme le maître incontesté du royaume franc. Pendant 9 années, il
renoue les relations avec la papauté, dont l'indépendance est menacée par les
invasions des Lombards en s'engageant à protéger le pape, réorganise
l'administration et tente de refaire l'unité de Clovis.
Quelques mois avant sa mort en
741, il prend la précaution d'assurer sa succession. Il répartit son royaume
entre ses fils Carloman et Pépin.
4/ La difficile succession
A la mort de Charles Martel, en
octobre 741, de graves troubles éclatent. Carloman et Pépin le Bref, qui se
sont partagés l'héritage du l'unique maire du palais du royaume France, vont
devoir réprimer les révoltes des Aquitains et des Germains. Ils vont devoir
aussi soumettre Griffon, leur demi-frère aussi ambitieux que
rebelle.
De sa première épouse Rotrude,
Charles Martel a eu deux fils, Carloman et Pépin le Bref. De ses secondes
noces avec Sonnochilde sont nés un troisième fils, Griffon, et une fille,
Hiltrude. En outre, de ses unions "passagères" et de ses relations avec ses
concubines sont issus de nombreux enfants naturels. Conscient des difficultés
que risque de poser sa succession, Charles Martel (qui, en tant qu'unique
maire du palais, règne en véritable maître sur le royaume franc) a rédigé un
testament très précis. Conformément à ses volontés, quand il meurt, en octobre
741, Carloman hérite de l'Austrasie, de la Souabe et de la Thuringe; Pépin le
Bref reçoit la Neustrie, la Bourgogne et la Provence; Griffon se voit
attribuer des territoires épars. Prévoyant, Charles Martel a par ailleurs pris
soin de confier à chacun de ses héritiers une partie de l'Austrasie, terre
d'origine de la famille, pensant ainsi les contraindre à la concorde et à
l'union.
Carloman et Pépin le Bref
viennent à peine de succéder à leur père que Hunald, le fils du duc Eudes
d'Aquitaine, que les dispositions testamentaires de Charles Martel ne
satisfont pas, entre en révolte. Il fait alliance avec le duc Odilon de
Bavière pour contester le partage du royaume franc. Odilon, qui a épousé la
princesse Hiltrude, entend faire valoir ses droits en tant que gendre du
défunt. Quant à son épouse, après s'être enfuie d'Austrasie et s'être jetée
dans ses bras, elle espère pouvoir intervenir en faveur de son frère Griffon
qui, lui aussi, conteste le partage.
Sous l'égide du duc
Theutbald, l'Alémanie profite de ces querelles de succession pour se soulever
et tenter de reprendre son autonomie. Pépin le Bref et Carloman,
extraordinairement solidaires, vont devoir combattre sur plusieurs fronts à la
fois. Tout d'abord, les deux frères se portent conjointement contre les
Aquitains, qu'ils écrasent avant de prendre Bourges et Loches et de se
partager le duché. Puis, Carloman s'attaque aux Alémans. C'est avec une
terrible férocité qu'il mate leur révolte en 744, massacrant une grande partie
de l'aristocratie locale. L'Alémanie est scindée en deux entités, confiées au
gouvernement des comtes francs Warin et Ruthard. Pendant ce temps, Pépin le
Bref intervient en Bavière où, avec diplomatie, il parvient à calmer les
esprits.
Les succès militaires et
diplomatiques de Carloman et de Pépin le Bref n'ont pas convaincu Griffon de
renoncer à ses ambitions. Selon sa mère, Sonnichilde, Charles Martel lui
aurait, peu avant sa mort, concédé de plus vastes territoires. Mais personne
ne peut dires lesquels! Faisant fi de l'allégeance qu'il doit faire à ses
aînés, Griffon s'est rallié au parti de Hunald, le duc d'Aquitaine en révolte.
Capturé par ses demi-frères, il a été emprisonné à Neufchâteau.
Ayant pu
s'échapper grâce à la complicité de sa sœur et d'Odilon, Griffon a rejoint le
camp de Hunald. Les deux alliés, qui n'ont pas désarmé, se soulèvent de
nouveau, mais sont écrasés en 745. Acceptant sa défaite, Hunald décide de se
retirer au monastère de l'île de Ré et de laisser l'Aquitaine à son fils,
Waifre. Auparavant, il n'a pas manqué de châtier cruellement son frère Hatto,
coupable d'être resté fidèle à Carloman et à Pépin le Bref, en l'aveuglant à
coups de dague.
De son côté, Griffon, de
nouveau capturé, parvient encore à s'échapper et reprend l'offensive en
s'alliant aux Saxons. Mais, c'est compter sans les talents de guerrier de
Pépin le Bref. Celui-ci défait les troupes saxonnes et se fait remettre son
demi-frère rebelle. Soit par bon vouloir fraternel, soit parce qu'il pense
mettre un terme à sa rébellion en satisfaisant partiellement ses
revendications, il nomme Griffon duc du Mans et lui confie le gouvernement de
12 comtés. C'est alors, en 747, que le très pieux Carloman décide de se
retirer du monde et de se faire moine. Désormais, Pépin le Bref est seul
maître du royaume franc. Bientôt, le maire du palais va se faire proclamer
roi, et les Carolingiens vont définitivement succéder aux
Mérovingiens.